J’ai été fabriqué avec de l’aluminium mozambicain, du plastique indien, du cobalt congolais et du nickel malgache, au sein d’une usine chinoise délocalisée à Tunis. Abandonné sur un bateau à destination d’Anvers, j’ai ensuite été déposé dans les rayons d’un magasin électro de Schaerbeek. C’était la veille d’une terrible rafle organisée tous les ans et qu’ils appellent là-bas « premier jour des soldes ».
Je suis ensuite tombé entre les mains d’acheteur compulsif, aigri et pingre, avec qui j’ai passé les premières années de mon existence. Etant toaster de par ma mère, je lui ai grillé ses tranches. Puis, au bout de dix années de service, Bob (c’est son prénom) a tout doucement commencé à se plaindre de mes performances. Il m’a appris que je faisais un burn out et m’a donc conseillé d’aller me détendre dans une station balnéaire située près du canal. Moi, naïf, je lui ai dit « merci », ravi à l’idée de passer une journée de vacances au soleil.
Mais, arrivé sur place, je m’aperçois qu’il n’y a pas de plage ensoleillée le long du canal! Mon visage se décompose et je comprends enfin la raison de ma présence dans ce lieu. Là, devant l’écriteau « objets encombrants » qui surplombe l’entrée de la déchetterie, je courbe la tête et me laisse convaincre – pour la première fois de mon existence – que je ne suis qu’un objet inutile.
Mais, voilà que je relève la tête et que je la vois, là, devant moi, rayonnante, envoûtante : Micheline, la lampe-réveil Philips avec simulateur d’aube et diffuseur d’huiles essentielles! « Il faut que tu t’agrippes un peu à la vie – me dit-elle – et que t’oses te rebeller contre ce système qui ne fait de toi qu’un objet encombrant. Oh, d’autres objets préfèrent plutôt s’taire et accepter leur obsolescence programmée comme une fatalité. Pas toi !».
Elle m’invite donc à ce que nous trouvions refuge au Repair Café, un lieu de récup’ tenu par des bénévoles et situé à proximité de l’avenue Louis Bertrand. Les gens nous y accueillent, retapent Micheline de la tête aux pieds et m’expliquent que mon cas est plus grave : « vous souffrez d’une terrible grippe intestinale. Rendez-vous à l’atelier de la maison médicale de l’Aster ».
Je me rends alors à cette adresse. Un médecin m’y ausculte et m’explique que je suis, hélas, « irréparable ». Il m’envoie donc à une troisième et dernière adresse, « sûrement un autre cimetière d’objets » me dis-je. En chemin vers ma destination finale, je pense une fois encore au diagnostic du médecin et je me dis que je suis pire qu’un objet encombrant : je suis un déchet. Mais, arrivé à destination, je lève la tête et déchiffre sur l’écriteau l’inscription suivante : « Cercle déchets d’œuvre ».
LIEUX DE RECUP’ (SCHAERBEEK)
Le Repair Café de Schaerbeek (307, rue des coteaux)
Le Cercle Déchets d’œuvre (204, Chaussée d’Helmet)
L’Atelier de l’Aster (9, rue Josse Impens)