Depuis quelques mois, cette envie d’écrire sur la qualité de l’air bruxellois. Pourquoi? Certainement, à cause de ma délicate santé. Sans elle, la question de l’air à Bruxelles aurait été pour moi un problème abstrait, un sujet complexe parmi d’autres. Je n’y aurais sans doute doute guère prêté attention, si je n’en étais pas moi-même affectée, physiquement, quotidiennement, dans mes déplacements en ville. Début janvier, j’ai décidé d’en parler autour de moi, et transformer mon inquiétude personnelle en un engagement citoyen. J’ai pris contact avec le BRAL, puis j’ai rencontré l’équipe de Bruxsel’air …
Depuis la naissance, je souffre des voies respiratoires. J’ai un traitement assez contraignant : de la kiné quotidienne, une aérosolthérapie, des cures fréquentes d’antibiotiques. Monter plusieurs volées d’escaliers, courir pour attraper le bus, c’est à chaque fois un exploit sportif. Au test de marche – outil d’évaluation des kinés – j’obtiens systématiquement des résultats inférieurs aux moyennes obtenues par les personne de mon âge. Dès 1992, j’ai commencé à avoir de gros problèmes de souffle ; les gens qui me soignent m’ont expliqué que c’était dû entre autres à l’air vicié que je respire ici à Bruxelles : les pics d’ozone en été, le smog le reste de l’année, la trop forte concentration de particules fine dans l’air (PM10, PM2,5). Les taux de PM2,5 – matières en suspension de moins de 2,5 microns de diamètre – dépassent en effet régulièrement les seuils autorisés. En cause : le trafic automobile et le chauffage.
Pour moi, certains jours, respirer en ville devient … difficile. Dès que j’entends « qualité de l’air médiocre niveau 5 », j’annule mes rendez-vous, je m’enferme chez moi plusieurs jours. Si je dois sortir, pour des démarches urgentes, nécessaires, je prends un taxi. Ce qui me surprends, c’est que je reçois très peu de recommandations des personnes qui me soignent. Mon impression c’est que beaucoup de Bruxellois vivent dans le déni ou la résignation par rapport à cette question de la pollution de l’air.
Rencontre avec le BRAL
Début novembre 2016, je reçois via le BRAL – association située dans le centre ville et qui soutient des actions citoyennes – une invitation à assister à une conférence sur le thème de « la qualité de l’air et la santé ». Dans un premier temps, j’y vais pour moi, pour m’informer, en avoir enfin le coeur net. J’arrive maison de quartier Malibran, rue de la digue, à Ixelles. Il y a 70 personnes dans la salle, beaucoup de jeunes. Ils sont là pour écouter Catherine Bouland – directrice de la section ‘santé environnementale’ de l’école de santé publique de l’ULB. Son verdict est sans appel : l’air bruxellois est néfaste pour la santé, notamment à cause de la présence d’une quantité infime de particules fines qui suffit à perturber notre organisme (0,04%).
J’y apprends ce que j’imaginais déjà : la pollution de l’air impacte la vie des Bruxellois. Elle réduit leur espérance de vie de 7 mois en moyenne et implique pour certains une perte de liberté et de qualité de vie : car, lors des alertes au smog ou des pics d’ozone, les enfants, les personnes âgées et les insuffisants respiratoires sont priés de rester chez eux, de réduire tout effort physique. Pourtant, la pollution atmosphérique c’est l’affaire de tous. Elle nous touche tous à des degrés divers, quel que soit notre mode de vie, notre moyen de locomotion : que l’on soit en bagnole, à pied, à cheval, à vélo, blancs, noirs, jaunes.
Or, le gouvernement se préoccupe peu de ce problème de santé publique, et cela malgré les sanctions et les mises de garde de la Commission Européenne, qui surviennent toutes les fois où les seuils de pollution sont dépassés. Le changement ne viendra vraisemblablement pas d’en haut. Alors, que faire ? Une évidence : nous devons nous mettre au travail, il y a là un défi citoyen de taille. Il faut se concerter, adopter des solutions systémiques qui tiennent compte du problème dans sa globalité. Le problème est, on le sait, aujourd’hui planétaire, c’est pour nous tous un véritable défi écologique, également humain, urgent et crucial.
Ma participation au projet ExpAir
20 Décembre 2016 : rencontre avec Liévin Chemin, responsable du projet « air et mobilité » au BRAL – association qui veille à faire entendre la voix des citoyens bruxellois, en incluant des personnes qui ne sont pas forcément sensibilisées aux questions d’environnement. Le projet ExpAIR, lancé en 2015 par le BRAL et l’IBGE – consiste aujourd’hui à nourrir la connaissance sur la pollution de l’air, à sensibiliser des citoyens à cet enjeu de santé publique et à les pousser à l’action. Concrètement, Liévin s’est occupé de faire le tour des maisons de quartier – place Annessens, les Marolles, rue Rempart aux Moines – pour encourager différents groupe de citoyens à participer à une action de mesure de la qualité de l’air. Le but est de proposer une cartographie qui signalerait les lieux les plus pollués de la capitale. Avec le principe du « Savoir & faire savoir »
Le projet ExpAIR former des groupes cibles, qui apprendront, puis pourront à leur tour partager leurs connaissances. Le fait de construire ensemble des savoirs permet de s’émanciper, de construire une expertise citoyenne… Le travail se fait en partenariat avec des universités, des lieux de savoirs, comme le centre Cosmopolis. Et, quelle sera ma tâche dans tout cela ? Mesurer par moi-même la concentration de Black carbon particules issues de la suie de Diesel – dans l’air à 1030, dans ma commune.
Voilà une excellente initiative ! Je ne savais pas que c’était possible, je trouve l’idée excentrique mais amusante. Je m’engage à le faire par défi. D’ailleurs, avant moi, dans le cadre du projet Exp’air, d’autres citoyens l’ont fait. Trois groupes, des personnes issues des maisons de quartiers du centre-ville, des membres de Bruxsel’air, un collectif constitué au départ de jeunes cyclistes bruxellois et enfin les membres d’une association de cyclistes liées à la commission européenne.
Je peux en tant que ‘burgerjournalist‘ faire le même travail, mesurer quotidiennement durant cinq jours l’air que j’inhale et transmettre les informations aux lecteurs d’Ezelstad et aux auditeurs de Radio Panik. Je reçois un appareil de la taille d’un GSM placé dans une petite gibecière et une sorte de carnet de bord où je suis invitée à noter scrupuleusement les lieux où je me trouve – intérieur, extérieur – les moyens de transports utilisés, à pied, en tram, bus, voiture, les heures de départ d’arrivée. Liévin m’explique le fonctionnement de l’aethalomètre (il faut veiller à changer les filtres et à charger quotidiennement l’ appareil), ainsi que le petit GPS qui l’accompagne. Protéger l’appareil de la pluie, veiller toujours à ce qu’il continue à prendre des mesures via un minuscule tube. Des détails techniques de haute importance. Je m’attelle à ma besogne (Je vais être fliquée pendant 5 jours, on saura même quand je fais pipi).
Mes mesures de Black Carbon (PM2,5)
Le Black Carbon (BC) est une des nombreuses microparticules présentes dans l’air bruxellois et dont la taille est proche de 2,5pm. Cette particule fine – qui émane notamment de la combustion dans les moteurs Diesel – est considéré comme un indicateur fiable pour évaluer les concentrations de pm2,5 et de NOx dans l’air. On considéère qu’au-delà d’un microgramme par mètre cube, le black carbon (pm2,5) est nocif pour la santé.
L’appareil que j’ai reçu en prêt va me permettre de mesure la concentration de cette partivcule dans l’air lors de mes trajets quotidiens. Mes mesures sont prises du 5 au 10 janvier, de jeudi à mardi, excluant le dimanche où le trafic automobile est moins important. Les données collectées sur l’appareil devront ensuite être envoyées, intégrées à la base de données, puis analysées par Bruxelles Environnement. Au terme du processus, je suis censée recevoir les résultats par mail, et il est prévu de revoir Liévin pour l’analyse des données.
Jour 1 : Il est 15.00. Mon appareil est prêt. Je vais le chercher, mesurer l’air, ce sera mon premier acte citoyen de l’année. Mise en route dans les bureaux du BRAL. En vue d’une émission sur radio Panik, je rencontre Micha et Krishna, tous deux mesureurs d’airs, appartenant au « Chouchougroep » comme on l’appelle ici, réunissant des habitants du centre de Bruxelles. Fin d’après-midi, 18.00, retour en tram. Je porte fièrement l’aethalomètre autour du cou. A la lecture des résultats – sur le trajet du retour en tram – de la station De Brouckère à la place des Bienfaiteurs, la durée de mon exposition au black carbon est importante : 2, 5 mg par mètre cube d’air.
Jour 2 : au réveil, je mets en route l’appareil. Matinée : prise des mesures à l’intérieur. Vers 12.30 : repas au Sésame, restaurant de quartier rue Josaphat. On observe une hausse des pm lors des trajets en tram du retour (2,7) et fin d’après un verre avec mon amie Muriel au café de l’Espérance. Ensuite, le trajet du retour aux environs de la tour Brusilia, à l’ heure de pointe. Bruit, trafic intense, vous devinez les taux de black carbon : trois fois trop élevés. 2,9.
Jour 3 : Trajet en tram. Samedi, 09.30 au matin : réunion Bruxsel’air dans les locaux de la Cycloperativa. Aux environs de midi : repas pris dans un fast food bio hors de prix. En prime : taux de pm anormalement élevé (1,7). Après-midi, direction « care wash » (c’est comme ça que j’appelle – pour plaisanter – le lieu où je me fais soigner à Woluwe). Taux de pm acceptable. Trajet en tram. Station Montgomery : le taux de pm à nouveau trop élevé, supérieur à 2mg par mètre cube.
Jour 4 : Dimance, vers 16.09, petite escale à Diamant (2,6 mg/m3). Rejoindre Meiser à pied. Puis, reprendre le tram à Meiser, jusqu’au boulevard Lambermont. Taux de black carbon fort hauts : 2.9.
Jour 5 : Trajet vers l’UCL. Un examen au sous sol. Et – Qui l’eu cru ? – l’air y est presque pur. Le black carbon est à 0,2 mg/m3 ; c’est probablement parce que les grands immeubles ventilent à partir du haut du toit. Par contre, lors du trajet retour – dans la station de métro Montgomery – l’exposition au BC est 1.6 mg/m3. J’envisage enfin de mesurer l’air de la place Dailly. Impossible : il pleut. Arrêt des mesures.
D’après mes résultats d’analyses de l’air, même l’intérieur de mon appartement est pollué par les gaz de la rue (black carbon, suie de Diesel). Liévin me conseille d’aérer la nuit, du côté arrière-maison, de 23h à 6h du matin, lorsque le trafic routier est moindre. Pour ce qui est de la pollution extérieure, il me rappelle qu’on peut essayer de contourner, dans la mesure du possible, les endroits forts pollués, de les éviter. Je dois rendre l’appareil, alors qu’il y a encore tellement d’endroits dans ma commune qui méritent d’être évalués. Le jour de la restitution de l’aethalomètre, un journaliste du magazine Télémoustique me contacte ; mon témoignage de mesureuse d’air l’intéresse. Cette affaire commence à prendre de l’ampleur. Je le rencontre avec Stefano de Bruxsel’air et Liévin du BRAL, à la station Arts-Loi. Liévin nous livre alors une belle anecdote : lorsqu’il était enfant, il a fait un rêve, il était enfermé dans une tour vitrée et devait, avec ses camarades, actionner une machine géante pour nettoyer l’air et pour pouvoir survivre.
Rencontre avec Bruxsel’air
Le 7 Janvier, un samedi matin. Il fait froid, il a neigé. Je rejoins les bénévoles du groupe « qualité de l’air » issus du GRACQ (Bruxsel’air) – rue Van Aertevelde – dans les locaux de Cycloperativa, un espace où l’on répare des vélos, Je suis accueillie par Luc, pour une réunion spéciale hors calendrier, une dizaine de personnes sont présentes. Il faut organiser le prochain événement médiatique. Il aura lieu en février, à l’ordre du jour préparer les pancartes avec les slogans, prévoir le matériel, les personnes disponibles, l’accueil de Benoît, un mobilisateur de Greenpeace, pour parler des écueils et des conséquences juridiques à prévoir lors de ce genre de manifestation.
Depuis 6 mois, les membres de Bruxsel’air ont l’habitude de se réunir tous les lundis soir, m’explique Pauline. Ils sont tous issus du Gracq et se réunissent d’habitude là-bas. Delphine est cycliste et asthmatique, deux éléments qui l’amènent à contribuer à Bruxsel’air. Elle évite au maximum d’utiliser sa voiture. Le groupe fonctionne sur un mode inclusif : tout le monde est à la même place, pas de coordinateur attitré, l’ambiance est volontairement bon enfant. Ce qui s’y dit : nous sommes des citoyens, nous exigeons un air propre, et il est temps d’exiger la mise en place des mesures coercitives : comme la suppression de la carte essence et des avantages fiscaux liés à l’utilisation de la voiture, voire la mise en place d’une taxe de circulation.
Mardi soir, chez Henri, un petit bistro typiquement bruxellois, se tient une réunion BRAL, drink de début d’année. C’est l’heure du bilan. Sont présents, un panel d’invités, tous des mesureurs d’airs. Un anglophone. Une lobbyiste d’une ONG environnementale européenne, Yvan un pensionné qui voudrait jouir pleinement d’un de ses plaisirs : les promenades le long de la rue Antoine Dansaert, perpétuellement encombrée de voitures. Benjamin un membre de Bruxsel’air, passé récemment en radio, relate leurs différentes interpellations des politiques, et les réponses des différents ministères qui se rejettent la balle. Madame de Block, Ministre fédérale, fuit fuit ses responsabilités à ce sujet. Quant à Madame Frémault, ministre bruxelloise de l’environnement, elle juge qu’il faudra du temps pour mettre en place des solutions, mais annonce déjà la création des premières « zones de basses émissions » à Bruxelles, en 2018, pour que les pouvoirs publics commencent à honorer leurs engagements en matière de réduction des émissions (voir « Plan Air Climat Energie », 2016, ainsi que « Clean Air for Europeans, 2008).
Tim, Liévin – animateurs au BRAL – et Nicola, chercheur à la VUB, évoquent l’idée d’intensifier les mesures d’air, de les étendre à d’autres groupes de citoyens. Une rencontre de « Citizen Science » est programmée pour le mois de mars. Il s’agit d’une action où les citoyens participent via le BRAL avec d’autres citoyens et collaborent avec les chercheurs en utilisant la technologie AirBeam. L’usage des appareils de mesure n’exclut pas le dialogue entre les différents intervenants. A la mi-temps, une journaliste de Médor arrive, elle souhaite aussi écrire un article sur le sujet. Discussion sur la validation des données rapportées par les citoyens. Sont elles assez fiables?
Ensuite, j’ai encore participé à deux rencontres radio autour de cette question lancinante : « quel air respirer » ? Le 26 janvier, je rencontre un avocat en studio, Ugo Taddei. Des mamans bruxelloises ont porté plainte, soucieuses – elles aussi – de la qualité de l’air. Le 2 février, une semaine plus tard, Radio Panik diffuse une seconde émission « on air ». Cette fois-ci, l’émission est entièrement consacrée à l’air. Je participe à un débat de haut vol : autour de la table de Mélina l’animatrice de Radio Panik, des citoyens mesureurs d’air issus de groupe différents, Micha et Krishna membres du « chouchougroep », Delphine de Bruxsel’air, la professeure à l’école de santé publique Catherine Bouland et un membre du BRAL, Liévin.
Juste à mes côtés, Catherine Bouland. Son discours est clair, précis, accessible. Je profite de la pause musicale pour lui poser une question : Comment se fait-il que les médecins parlent si peu de ce problème ? « Parce qu’ils n’ont pas l’information » me dit-elle.
Comment sensibiliser les Bruxellois ?
Le 18 février 2016, se tenait un événement que vous avez pu suivre dans les médias : 400 personnes se sont ralliées à Bruxsel’air pour une action de sensibilisation qui a consisté à poser des masques sur des centaines de statues de Bruxelles. Des gens de tous horizons y ont pris part dès le matin. Les plus grands édifices ont été investis par des grimpeurs. Ensuite, tout ce joli monde s’est enfin retrouvé Place Royale, autour de la statue de Godefroid de Bouillon.
Pour participer, ou en savoir plus …
- Descriptif du projet ExpAIR, sur le site du BRAL
- « Mesurer la qualité de l’air : des technologies citoyennes pour agir tous ensemble ? » sur le site du BRAL
- Emission de Radio Panik sur la qualité de l’air à Bruxelles, et sur le projet ExpAIR (Janvier 2017).
- Page Facebook du groupe Bruxsel’Air
- Site de Clean Air Brussels
__
Par Habiba
Pouvoir respirer de l’air pur dans une ville, où tout est concentré, me semble assez illusoire, étant donné que toute combustion produit des particules fines. Or au vu de la situation dans laquelle nous nous sommes placés (système économique impliquant des déplacements + pays froid), je vois mal comment on peut s’en sortir. Homo erectus a quitté l’Afrique bien douillette il y a très longtemps, et nous en payons le prix maintenant. Mais tout ça avait déjà été prévu en 1972 par Mr Dennis Meadows… Production industrielle, croissance économique, pollutions, tout se passe exactement comme prévu. J’en suis bien triste d’ailleurs et je suis désolé de ne pas pouvoir être plus positif, et les politiciens ne pourront pas y faire grand-chose. Pour qu’il y ait diminution de la pollution, il faut qu’il y ait diminution de la production industrielle, de la croissance, du pouvoir d’achat, et ça aucun politicien ne le désire. En somme, pour que la pollution disparaisse il faut que notre civilisation, notre monde moderne, s’effondre. Courage! il y a quand même de l’espoir…