Il y a deux jours, la SAU – Société d’Aménagement Urbain de la région bruxelloise – envoyait une excavatrice avec pour intention de percer une voie de 7 mètres de large sur toute la longueur de la friche Josaphat … en plein dans l’axe de mares créées il y a deux ans ; c’est un lieu de ponte pour les libellules et autres insectes. Et c’est l’endroit le plus intéressant de la friche en termes de biodiversité …
Samedi matin, un naturaliste a pu alerter le voisinage in extremis. Plusieurs riverains ont ensuite appelé le 101 pour qu’une patrouille puisse constater l’infraction. La police arrive à midi devant les grilles de la friche Josaphat. Un groupe d’environ 10 riverains est présent (en respectant les distances) …
Un membre de la SAU se rend en urgence sur le site et s’entretient avec les policiers en leur vendant une histoire rocambolesque : en réalité, il ne s’agirait nullement d’un chantier (qui nécessiterait l’obtention d’un permis et le respect de normes d’affichage), mais de travaux de jardinage (construction d’un chemin en ballast de 7m de large, à 40 mètres des voies, en vue de la réalisation d’une étude de sol). En gros le message (poli, jusqu’ici) que renvoie la police c’est « Il va falloir vous disperser. Le propriétaire est dans son droit« . Pourquoi ce chantier se trouve-t-il pile dans l’axe d’une mare qui risque visiblement d’être abîmée ? … « On ne savait pas » répond la SAU.
Lundi matin, 8h00, retour sur le site. Le tractopelle est à nouveau sur là. La SAU semble avoir décidé de « prolonger » son chemin, coûte de coûte… malgré les plaintes, malgré les déposition auprès de la police de Schaerbeek, malgré le fait que ce chantier (la création d’un chemin de balast de 7m de large) est visiblement illégal … À 8h, on rencontre 2 employés de l’Inspection de Bruxelles Environnement. Ils viennent de s’entretenir avec la SAU, qui leur a apparemment garanti que le chemin contournera le milieu humide.
Un peu plus tard, en fin de matinée, on pénètre sur le terrain (ce qui est tout à fait illégal et sévèrement sanctionné par la police, contrairement aux joyeuses activités de jardinage à la tractopelle) et on avance en direction de l’excavatrice. On rencontre le responsable de la sécurité sur les terrains de la SAU. Ils nous explique qu’on n’est pas censés se trouver là.
« Les travaux de terrassement c’est pour que Aries puisse venir faire une étude se sol … si j’ai bien compris » (Responsable de la sécurité pour la SAU, le 27 avril 2020).
On constate que les 2/3 du milieu humide viennent d’être détruits et que ce qui en reste c’est juste la partie la plus profonde … Là-dessus on va à la rencontre de la chargée de projet. Question : « Vous dites que ça n’a pas été fait volontairement ; je peux faire semblant de vous dire que je vous crois, mais bon« . Ce à quoi cette personne répond quelque chose du genre : « je ne vous demande pas de me croire, j’en ai en gros pas grand chose à faire« .
Remarque suivante : « Des travaux comme ça – même s’il étaient entrepris en dehors de la période de confinement – c’est juste scandaleux. Mais là : le tractopelle vient taper pile au milieu de l’endroit le plus sensible du site« . Réponse : « Non, de l’endroit que vous avez organisé »… Je vais vous demander de sortir«
Donc on a gentiment été raccompagnés à la porte. On a rencontré autre 3 personnes qui regardaient la scène à distance. On pris le boulevard Wahis. Mais une voiture de police s’approche immédiatement. Dans la foulée, on continue notre chemin en se séparant…
Témoignage d’un des citoyens présents : Quand les mesures policières sont un prétexte pour entraver le droit des citoyens à manifester … tout en laissant tranquilles les opérateurs fonciers, qui ont les coudées franches pour démolir des espaces naturels.
« J’étais dans un petit parc près de la friche, avec 2-3 personnes, à distance raisonnable. Une voiture de police est arrivée dans la zone et alors qu’ils étaient encore loin de nous, nous avons pris la direction opposée et nous nous sommes dispersés. Ce n’est pas grave, je me disais. Mais ensuite, une véritable « chasse à l’homme » a commencé contre moi avec plusieurs voitures de police et des motos. À un moment donné, j’ai même entendu une sirène de police !
« Une voiture banalisée m’a ensuite coupé la route. Le conducteur me montrait du doigt à pleine vitesse. Le véhicule est entré dans une voie de garage. Deux policiers en sont sortis… et ont appelé des renforts. Bientôt, d’autres voitures et motos sont arrivées. J’ai été arrêté comme suspect et identifié« .
« Ils m’ont dit que c’était un contrôle standard, qu’ils cherchaient quelqu’un et ont commencé à poser beaucoup de questions, et quand je leur ai dit que je faisais simplement « un tour », ils ont fini par m’accuser d’avoir enfreint les lois sur le confinement en allant marcher à Scharbeek alors que je résidais à Matongé. Je ne devrais être dehors qu’à Matongé, ils ont vérifié si j’avais un masque (je le leur ai montré ; eux n’en avaient pas). Ils ont fouillé mon sac et ont pris des photos des autocollants NO 5G et XR sur mon e-reader.
« Puis ils m’ont demandé à plusieurs reprises, sous différentes excuses, de débloquer mon téléphone pour eux. Pour vérifier s’il avait été volé, ils m’ont dit. Puis ils ont renoncé et noté le numéro IMEI de mon téléphone (maintenant ils peuvent suivre mon téléphone chaque fois qu’il se connecte à une antenne et intercepter certains de mes appels). Quand je suis retourné chercher mon vélo, j’ai vu qu’ils vérifiaient aussi d’autres personnes qui traînaient dans le coin ! Je vais recevoir une amende de 250 euros par la poste ».
« Pas sûr que ces interventions policières spectaculaires et disproportionnées pour délivrer des amendes prétendument liées au Covid aident à rétablir la confiance avec les autorités. Sans le privilège d’avoir la peau blanche, cette histoire aurait pu se terminer différemment«
Texte : M. Simonson
Crédits Photo : Creative Commons (CC-BY-SA)