Tour & Taxis : 37 hectares de ville, privatisés

En ce début de XXIème siècle, ce joyau industriel local est devenu un simple trophée de chasse du capitalisme financier. Mais, comment en est-on arrivé là ?

Tour & Taxis fut à partir de 1917 le noeud central de notre réseau de transport de marchandises. Ce site – qui employait plus de 3000 personnes au siècle passé – tomba en désuétude avec l’ouverture des douanes européennes et le développement du transport routier. Propriété de la SNCB, puis de la Poste, le site fut donc laissé à l’abandon à partir de 1987, avant d’être récupéré par le Région et vendu (en 2001 et 2015) à Leasinvest, aujourd’hui Extensa, filiale d’une firme du BEL20 (AvH – Ackermans et van Haaren).

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Les associations de quartier et les groupes de défense du patrimoine sont parvenus à faire avorter le projet initial de Leasinvest qui prévoyait la destruction de la gare maritime (Music City) et à faire respecter leurs exigences concernant la rénovation de l’Entrepôt Royal et des Sheds. Mais, ils se trouvent aujourd’hui face à un acteur privé qui détient 100% du site et est déterminé à en tirer un profit maximal, c’est-à-dire à construire dense et cher (dans le cadre réglementaire que lui imposent les autorités).

Le canal, c’est pas les Docklands” rassure-t-on au cabinet Vervoort. Oui mais, face au promoteur, se trouve une classe politique perméable aux jeux d’influence, qui – en dix ans de pourparlers avec Extensa – n’est pas encore parvenue à lui imposer ses conditions.

CC-BY-SA. Au centre du quartier “revitalisé”, se trouve une zone de squat qui sera bientôt réaffectée en parc public (Parc Béco).

Au terme de la saga « Music City » – en 2009 –  la Région prétendait pourtant poser des gardes-fous permettant de faire de Tour & Taxis un « quartier durable exemplaire, au bénéfice à tous » (source : ADT). Sept ans plus tard, en 2016, le projet de PPAS (Plan Particulier d’Affectation du Sol) passe – très tardivement – à l’enquête publique, et les riverains y découvrent des plans qui s’écartent fortement des promesses de départ : ce « quartier au bénéfice de tous » comprendra finalement moins d’équipements publics que prévu, plus de bureaux, plus de surfaces commerciales de prestige, un peu de « logement moyen conventionné » (mais, anormalement cher) et – surtout – 0% de logements sociaux (au lieu des 20% annoncés en 2008).

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Extensa juge aujourd’hui que rien ne l’obligeait à en construire et que sa seule obligation était de livrer 15% de logements conventionnés dits « abordables » pour la classe moyenne1. En effet, le respect de ces 15% est une des seules obligations que la Région soit parvenue à imposer à Extensa – sauf que ces 15% ne constituent en rien une concession du promoteur (ou une victoire de la Région) : ce n’est qu’un paiement en nature dont Extensa doit s’acquitter (en guise de “charges d’urbanisme”)

Si le “bénéfice de tous » promis par la Région ressemble aujourd’hui à ce point aux intérêts d’une firme du BEL20 (AvH), ce n’est peut-être pas tout à fait par hasard : l’avocate qui conseillait le cabinet Vervoort en 2013, touchait simultanément ses honoraires auprès d’AvH (Extensa) via les cabinets Stibbe et ASAP.  Elle était en charge de la rédaction de ce fameux arrêté régional (du 26 sept. 2013) qui permet aujourd’hui aux promoteurs de s’acquitter de leurs charges d’urbanisme « en nature » pour ainsi dire; c’est-à-dire en construisant du logement à destination de l’administration publique.

Cinq ans après cette opération favorable à Extensa – et alors que le ville de Bruxelles attend toujours que le promoteur s’acquitte de la totalité de ses charges d’urbanisme – le cabinet Vervoort engage cette même avocate en tant que directrice-adjointe en charge du développement territorial et de la création d’un nouvel OIP : Bruxelles Urbanisme et Patrimoine (BUP).

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Article de la La Libre Belgique, 2017.

Bref, on assiste ici à l’émergence d’une “ville dans la ville” qui échappe au contrôle des autorités publiques, avec leur concours et leur consentement. Même constat face à la création du parc de T&T : le PPAS prévoyait que la gestion du parc soit transférée à la Région. Mais, Extensa s’est ravisée et refuse aujourd’hui de la confier à Bruxelles Environnement avant que les bâtiments environnants ne soient achevés et vendus. Pas de réaction, ni de sanction de la part de la Région…

Tour & Taxis est donc aujourd’hui un espace où les principes d’accès, d’usage et de gestion sont laissés à la discrétion d’un propriétaire qui se sent – à raison – au dessus des lois. Et, pendant qu’il dispense au compte-gouttes ses « services à la collectivité », sa maison-mère (AvH) engendre de confortables bénéfices qui lui permettent – par un habile effet de « ruissellement vers le bas » – d’en faire profiter la société toute entière et tout particulièrement la vingtaine de filiales qu’elle a planquées dans des paradis fiscaux.

Maquette du projet d’Extensa, sur le site de Tour et Taxis (CC-BY-SA)

Cet article est repris dans une section du dossier Canal de « Bruxelles en Mouvement » (n°298, janvier-février 2019).

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