« Les Liberterres » est un magnifique documentaire de 82 minutes qui dresse le portrait de quatre paysans – deux Belges, un Italien et une Autrichienne – ayant choisi de produire de la nourriture autrement : localement, en circuits courts, sans chercher à tout prix à obtenir les meilleurs rendements, mais en visant une certaine qualité et une maîtrise du processus de production et de distribution. En somme, le film parle de la façon dont ces quatre agriculteurs ont recouvert une liberté … selon eux inatteignable dans le monde de l’agriculture conventionnelle.
Cet été, j’ai eu la chance de rencontrer un des co-réalisateurs du film : Paul-Jean Vranken. « Les permières scènes ont été tournées en 2008 » – m’explique-t-il. A l’époque, il s’agissait de faire le point sur les programmes d’agriculture d’après-guerre, et de faire un portrait d’un agriculteur parvenant à vivre de son activité tout en se soustrayant à la logique du rendement maximal. Quelques années plus tard, le film compte pas mois de quatre portraits : deux paysans belges, un italien et une autrichienne.
« On voulait mettre en avant des agriculteurs qui privilégiaient des solutions alternatives qui soient commercialement viables. C’est-à-dire que les quatre agriculteurs qu’on a choisi ont des entreprises qui tournent, bio ou assimilées au bio, durables, respectueuses de l’environnement et financièrement viables. Comment y sont-ils arrivés ? Ils ont recréé un réseau local, avec une maîtrise de la chaîne, de la production à la vente au consommateur. Et c’est comme ça qu’ils s’en sortent » (interview de J.-P. Vranken, 29 juin 2015)
Derrière ces quatre portraits, des méthodes distinctes, mais un discours et des gestes relativement similaires : tous les quatre prônent une agriculture durable, qu’ils appellent « agriculture moderne », c’est-à-dire une agriculture intelligente qui prend appui sur les potentialités du vivant. « L’agriculture conventionnelle, par opposition, ils appellent ça – tous les disent – une agriculture morte, souligne Paul-Jean Vranken ». Dans le monde de l’agriculture conventionnelle, les insectes, les champignons, l’humus et les herbes folles sont considérés comme nuisibles : des éléments susceptibles de diminuer le rendement des surfaces agricoles et qui doivent donc être éliminés à coups de produits de synthèse (pesticides, fongicides, engrais chimiques…). Nos quatre agriculteurs excluent le recours à ces produits et travaillent au contraire par associations : « ils mélangent les herbes, les plantes, les graminés ».
Remi (Alken, Belgique)
Remi Schiffeleers est un producteur de lait de chèvre originaire d’Alken. Au terme de ses études d’agronomie, il se rend en Afrique … Au terme de son voyage, il se promet de participer un jour au développement d’une agriculture vivrière durable dans les pays du Sud. Quelques années plus tard, il lance le « mouvement paysans sans frontières » et se retrouve impliqué dans des projets pédagogiques au Bénin, au Sénégal et au Mali. Il estime que le lait de chèvre est la meilleure solution aux problèmes de malnutrition qui affectent ces pays.
« La mortalité chez les enfants survient après qu’ils soient sevrés – explique-t-il. Les femmes n’ont plus rien à leur donner à manger. Avec le lait de chèvres, ils survivent. La chèvre pour moi, c’est l’animal numéro un pour régler le problème de la faim. »
Remi produit aujourd’hui 18 sortes de fromages et du yaourt, assimilés au « bio » mais non-labélisés. Car, il refuse de passer par un oranisme certificateur : « Pour moi, le bio est trop blanc ; c’est pour les gens qui ont assez de pognon, les gens d’ici, en Europe. »
André (Habay-La-Vieille, Belgique)
André est un éleveur Wallon originaire d’Habay-La-Vieille qui a abandonné le banc-bleu en 1997 pour l’Aberdeen Angus. Il cultive aujourd’hui des terres agricoles pour alimenter ses bêtes, ce qui lui permet de maîtriser son circuit de production et de distribution, le tout sans avoir recours aux pesticides et aux engrais chimiques.
« C’est nous qui nous occupons de la terre – explique-t-il – ce n’est pas à d’autres personnes de nous imposer leurs semences, leurs engrais, leurs produits phytosanitaires, et leurs maladies. On doit être libres, comme tous les paysans du monde. »
Crédit photo : www.liberterres.com
Olga (Fellesdorf, Autriche)
Olga Voglauer est une productrice de lait originaire de Fellersdorf : au terme de se formation universitaire, elle a lancé une ferme avec quinze vache laitières qui produisent chacune entre 30 et 40 litres de lait quotidiens. Elle écoule cette production en vente directe. Un lait non-pasteurisé : « Vous savez pourquoi les gens ne tolèrent pas le lait conventionnel ? Parce qu’il n’est pas équilibré ; d’une part, les vaches sont nourries avec du foin fermenté en ensilage, donc trop acide, d’autre part, la pasteurisation tue les bactéries qui favorisent l’assimilation… ici, notre lait n’est pas pasteurisé, il est directement mis en bouteille après la traite puis, livré le jour même. »
« Je veux prouver qu’on peut vivre de sa production sans être obligé de la maximiser et de » s’endetter. » A 60 ans, je pourrai dire que je n’ai pas conduit la terre dans une mauvaise direction. »
Giuseppe (Radussa, Italie)
Enfin, Giuseppe Li Rossi est un agriculteur sicilien originaire de Raddusa qui s’est spécialisé dans la culture de variétés de blé anciennes. Il s’est lancé dans ce créneau pour répondre aux problèmes provoqués par le blé Creso : « Du fait de la modification génétique, le blé Creso possède un gluten très fort. Cela permet d’accélérer la fabrication de pâtes et d’abaisser les coûts de l’industrie, mais quand ces molécules de gluten pénètrent dans notre intestin, c’est comme un virus dans un computer : elles diminuent la digestion et l’assimilation. Notre intestin ne reconnaît pas ces molécules, et nous développons des allergies, des intolérances, et la maladie de la cœliaque a augmenté. »
Crédit photo : www.liberterres.com
« Après la guerre – ajoute Paul-Jean Vranken – il y a eu des expérimentations pour augmenter les rendements en agriculture. Ça s’est intégré dans le développement de ce qu’on a appelé ‘la révolution verte’. A l’époque il y avait un problème : les blés étant assez haut, le rendement tombait énormément dès qu’il y avait un peu de vent et de la pluie parce que le blé se couchait et qu’on ne savait plus le récolter aussi facilement. Et donc ils ont développé une variété de blé et y ont rajouté du gluten pour que le traitement industriel de la pâte soit plus facile. Dans le film on raconte que c’est une des bases du problème de la maladie cœliaque, l’intolérance au gluten. (…) Giuseppe a voulu cultiver des variétés anciennes beaucoup plus digestes, qui ont une autre saveur, qui n’ont pas besoin d’insecticides. (…) Son credo c’est de dire : je vais essayer de redévelopper des variétés anciennes pour éviter tous ces produits chimiques et ces problèmes de gluten, ces problèmes de fongicides et de pesticides. Les variétés anciennes n’ont pas le même rendement, mais en terme de santé et de qualité elles sont meilleures. Il a décidé : « tant pis, je diminue mon rendement par deux mais je fais une nourriture de qualité » » (interview de P.-J. Vranken, 29 juin 2015)
J’ai particulièrement aimé la beauté des portraits, simples, touchants, humains et la clarté du message pédagogique, avec notamment ces magnifiques paysages ruraux entrecoupés de documents d’archives vantant le pouvoir de la « science moderne » d’éliminer la faim et la malnutrition… Bref, je vous conseille vivement ce documentaire qui fait frémir, qui fait rêver, qui fait réfléchir. Il est projeté tous les jours de la semaine au cinéma Vendôme, dans le cadre du festival Alimenterre, et cela jusqu’au 8 septembre.
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Par Mathieu