Le siège de l’Œuvre Nationale des Aveugles a récemment quitté Schaerbeek pour Woluwe, mais sa petite soeur Citeco (anciennement ONA entreprise) reste aujourd’hui très active dans le paysage schaerbeekois. Il s’agit d’une entreprise de travail adapté dont les ouvriers – atteints de déficience visuelle ou d’autres types de handicaps – font (re)vivre des métiers aussi divers que le cannage, le rempaillage de chaises, la reliure, le cartonnage et le travail de jardin. Nous sommes allés à la rencontre des gens qui y travaillent.
Petit retour en arrière : l’histoire de Citeco est liée à celle du Père Agnello alias Charles Vanden Bosch (1883-1945). Ce prêtre franciscain originaire de Roubaix est envoyé sur le front, en 1914, en tant que brancardier-infirmier. Sa vue décline. De retour dans sa communauté, en septembre 1915, il perd définitivement la vue et voit sa vie entièrement bouleversée. Cet amoureux des belles lettres doit renoncer à sa passion pour les livres. C’est le désespoir. Jusqu’à une rencontre cruciale – en 1920 – avec les gens de l’Institut Royal des Aveugles de guerre de Boitsfort, lesquels lui enseignent l’écriture braille.
Le soutien qu’il reçoit de l’Institut lui permet de retrouver de l’autonomie et de la joie de vivre. C’est ce qui lui donnera l’envie de créer – en 1922 – une caisse de prêts et de secours professionnels aux aveugles (ses « frères de cécité » comme il les appelle). En 1925, son œuvre est rebaptisée : Oeuvre Nationale des Aveugles de Belgique. Puis, en 1928, elle s’installe aux numéros 90-92 de l’Avenue Dailly. « Des ateliers sont créés, une bibliothèque est organisée et cinquante copistes qui transcrivent des livres entiers en braille ». (cf.P. Loodts, Médecins de la grande guerre).
En 1940, la guerre éclate à nouveau et Agnello rejoint le réseau de Résistants « Comète »…
« Depuis la bibliothèque de L’ ONA, avenue Dailly, des informations sont transmises par son collaborateur René Copine à Londres grâce à un émetteur caché parmi les livres. Hélas, les Allemands ont remonté la filière, Copine est arrêté et quelques jours après, le 9 juillet 1942 c’est le tour du Père Agnello ! C’est alors un nouveau et ultime chemin de croix qui commence pour Agnello : la prison puis le wagon à bestiaux qui le conduira en Allemagne à Esterwegen en juillet 1943. Début 1945, il est transféré à Dachau. Il meurt d’une pneumonie le 9 mars 1945 (P. Loodts, Médecins de la grande guerre)
Dans les années d’après-guerre, l’oeuvre initiée par Agnello se développe en concentrant sous une même coupole le travail de soutien, de sensibilisation et de collecte de fonds d’une part, et le travail en « ateliers protégés » d’autre part. Ce modèle – jugé trop paternaliste – est abandonné en 1997 avec la division entre ONA et ONA entreprise. Le but de cette scission : transformer « l’atelier protégé » en une véritable entreprise d’économie sociale ; c’est-à-dire une entreprise dont la finalité sociale est, en grande partie, poursuivie par des moyens économiques. Cinquante pourcents des rentrées provenant des activités économiques de l’entreprise, et le reste provenant des subsides.
Puisque ONA entreprise devient une entreprise sociale comme les autres, les ouvriers réclament le droit de jouir de droits identiques à ceux dont jouiraient des ouvriers valides : revenu minimum garanti, représentation syndicale, pécule de fin d’année etc.
« Avant 1997, il y avait une dérogation qui permettait à l’entreprise de payer en-dessous du revenu minimum garanti. Et, puis il y a eu un combat syndical qui – je pense – était juste à ce moment-là, pour dire que ce sont des travailleurs comme les autres. Ils ont le droit d’être payés comme les autres. » (interview d’Antoine Baudot, le 24 février 2015).
Initialement destinée aux seuls malvoyants et déficients visuels, l’entreprise de travail adapté de l’Oeuvre Nationale des Aveugles est ouverte – depuis de nombreuses années – à d’autres types de handicaps physiques, et à de légers handicaps sociaux et mentaux. Elle compte à présent une trentaine d’ouvriers. Les ouvriers atteint d’un handicap visuel s’orientent plutôt vers le cannage, le cartonnage et la reliure. D’autres font du rempaillage de chaises et de la manutention (mise en boîte, conditionnement, collage d’étiquettes, expédition postale…).
Antoine Baudot – directeur de l’établissement – nous explique que ces métiers sont aujourd’hui menacés par l’automatisation et la mondialisation des échanges, mais aussi par la concurrence des prisons : « Un prisonnier touche 1 EUR et demi de l’heure, souligne-t-il. Bon, avec ça on a vite compris. On ne sait pas concurrencer ça. Et, ils ont une force de travail, une force commerciale importante, avec une trentaine de commerciaux dans toute la Belgique ».
Il y a enfin un activité qui a pris beaucoup d’ampleur, ces dernières années, au sein de Citeco : le travail de jardin et, plus récemment, l’entretien de parcs schaerbeekois. Sachez par ailleurs que Citeco sert de dépôt-vente pour les paniers bio. Concrètement : les habitants du quartier peuvent commander leurs paniers une semaine à l’avance, et venir les cherchers le mercredi dans les locaux du 75 rue Albert de Latour. A l’entrée de l’établissement, se trouve par ailleurs une boutique avec des plantes aromatiques, des graines potagères, du terreau, et un peu de matériel de jardinage.
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Par Mathieu et Habiba
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