En 2011, Mirjam Devriendt publiait l’ouvrage « Onzen Hof – Notre Jardin », dans lequel elle présentait son travail photographique sur les usagers du parc Josaphat. Trois ans plus tard – en octobre 2014 – ces photos retrouvent une seconde jeunesse avec le festival Alles Es Just et l’exposition « Josaphat » des ateliers Vogler. Dans le texte ci-dessous, Eric Min décrit l’univers de l’artiste et souligne la beauté de son travail photographique.
Comment appelle-t-on les gens que l’on croise dans un parc ? Des passants ? Des usagers ? Des occupants ? Ils se promènent ou passent devant vous, prennent le temps de se reposer ou de jouer. Ils sont ici chez eux. Même s’ils viennent d’ailleurs, ils sont d’ici.
L’endroit s’appelle le parc Josaphat, le poumon vert de Schaerbeek. Depuis plusieurs années, Mirjam Devriendt y prend des photos – carrées et en couleurs. En 2011, elle en a constitué un livre de portraits et de paysages. Avec le temps, le matériel visuel de Onzen Hof – Notre Jardin s’est considérablement agrandi. En feuilletant aujourd’hui l’ensemble de clichés que la photographe a rassemblés, on constate que l’on passe imperceptiblement d’un genre à l’autre. Jusqu’où un paysage reste-t-il un paysage et à partir de quand devient-il un portrait ? Et inversement ? Mirjam Devriendt sait que l’on peut tirer le portrait des gens, mais aussi celui des arbres. Et qu’une personne est une forme de paysage.
Le milieu de la photo dégage généralement une impression de calme, le format carré s’y prête à merveille. Il peut s’agir d’un individu ou d’un groupe de gens, d’un arbre ou d’un buisson. Ils se tiennent debout, bien centrés. Mirjam Devriendt fait parfois poser ses modèles contre le tronc et sur les racines d’un arbre monumental que nous reconnaîtrons d’un tirage à l’autre comme une présence familière. Salut, Voisin ! Sur ces clichés, on dirait que les gens ne partagent pas uniquement l’air du parc, mais aussi un arbre, ici et là. Cela crée un lien.
Les photos carrées ont quelque chose de solide, d’équilibré. Les proportions de l’image demandent une tension entre horizontalité et verticalité. Dans cette série, cela se remarque surtout d’une prise à l’autre. Dans le cadrage de Mirjam Devriendt, le modèle peut se tenir bien droit, poser comme une statue. Il peut aussi s’allonger de tout son long dans l’herbe fraîche : les parcs sont faits pour ça. Ou encore s’émerveiller devant la formidable verticalité du mât vers lequel la gilde des archers dirige ses flèches menaçantes. Un catalogue d’attitudes prend ainsi forme, comme dans l’atelier de dessin d’une académie.
Mirjam Devriendt se rapproche parfois de ses modèles. Elle les arrange alors dans la composition selon les codes du portrait officiel. Les habitués du parc prennent une pose calme et de face. Cela peut durer un peu, parce qu’on a le temps. Sur d’autres prises, les gens – des joggeurs, des promeneurs, la fille aux épaules dénudées dans l’herbe, à côté de son vélo, des amis en pleine conversation – constituent un détail dans le paysage, parfois même un motif que l’on n’enregistre pas immédiatement. Comme chez Pierre Bruegel, l’anecdote attire ensuite notre attention dans un petit coin du cadre : c’est là que commencent les meilleures histoires. Et bien que la présence d’un figurant semble parfois planifiée, programmée même, elle est naturellement toujours due au hasard. Dans certains cas, les couleurs des vêtements des modèles semblent faire écho au décor : le costume rose rime avec les fleurs violettes, le couple grisonnant de jeunes retraités se fond dans le gris verdâtre et les touches blanches de l’arrière-plan.
Ce sont vraiment des photos du dimanche, même si vous savez qu’elles ont bien souvent été prises pendant la semaine : en témoignent les portraits des ouvriers qui entretiennent le parc et de l’homme avec l’âne. La lumière surtout est celle d’un dimanche. Elle effleure et caresse comme autrefois, quand les vacances d’été duraient une éternité et que le soleil jouait à cache-cache avec l’ombre des feuillages. Nous avions le temps de regarder, et il en va de même dans Josaphat – le parc et la série de photos. Les chiens sortent leurs maîtres. Les promeneurs se promènent. Même l’inévitable parcours de mini-golf apparaît sur les photos – il faut avoir vraiment beaucoup de temps pour s’adonner à ce sport. Et l’on s’esclaffe : petits et grands attendent patiemment que la photographe soit prête. Bien que l’artiste se soit rendue dans le parc quelle que soit la saison, les plus belles compositions sont les clichés pris sous soleil d’antan.
Ces photos doivent-elles s’inscrire dans une tradition ou un style ? Pas nécessairement, car elles sont suffisamment fortes en elles-mêmes. La fascination de l’artiste pour les arbres rappelle l’inventaire de troncs et de racines auquel Eugène Atget procédait dans les bois de Fontainebleau et de Saint-Cloud. Les formes organiques qui prennent surtout le dessus en automne et en hiver pourraient faire écho à l’œuvre de Julien Coulommier. Mais ce n’est pas très important. Josaphat est devenu un endroit où l’on peut errer et, surtout, exister.
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par Eric Min
(Traduit du néerlandais par Cécile Cormier)