Henri Jacobs, l’homme qui voulait mettre le Beau à portée de tous

Les gens le connaissent peu, ou ne le connaissent pas du tout. Nul ne sait à quoi ressemblait son visage. Et la plupart de ses immeubles ne portent pas sa signature. Il est toutefois considéré comme un des meilleurs architectes de la période Art nouveau.

Selon l’italien Franco Borsi – historien de l’art et spécialiste de l’Art nouveau – Jacobs est une des trois figures les plus intéressantes de ce courant à Bruxelles, avec Victor Horta et Paul Hankar. Si son nom et son histoire nous sont restés méconnus, c’est parce que Jacobs s’efforçait de rester discret, voire anonyme. Il fuyait toutes les marques de reconnaissance qui pouvaient lui être adressées. Nous ne disposons donc d’aucune photo de lui, et en dehors de quelques maisons privées, aucune de ses oeuvres ne porte sa signature. Cela explique peut-être que son nom soit encore si souvent absent des ouvrages d’architecture. Dans le livre  au demeurant excellent de Christian Mesnil, Chefs-d’oeuvre de l’Art nouveau à Bruxelles, le nom de Jacobs n’est pas mentionné une seule fois.

Mais, qui était vraiment Henri Jacobs ?

Voici ce que l’on sait de lui. Il est né le 3 décembre 1864 à Saint-Josse-ten-Noode à deux pas de l’école communale où son père – Jean-François Jacobs – occupait la fonction de directeur. Adulte, il suivra les pas de son père, non en tant que directeur d’établissement, mais en tant qu’architecte, métier pour lequel il se passionne depuis qu’il fréquente les ateliers de son oncle Jean-Pierre Jacobs, installés rue de Liedekerke.

Henri Jacobs, l’architecte des cités ouvrières

Au sortir de sa formation d’architecte et de géomètre-arpenteur à l’Académie royale des beaux-arts de Bruxelles (1883-1889), Henri publie un article – dans la revue l’Emulation – au sujet de maisons ouvrières, des constructions unifamiliales très petites et très économiques. Il remporte ensuite le premier prix d’un concours d’architecture organisé par la commune de Laeken pour la construction de maisons ouvrières. Deux années plus tard, la commune lui confie la réalisation des plans d’une école. La première d’une longue série.

En 1899, Jacobs est proclamé lauréat d’un concours d’habitations ouvrières bon marché organisé par le Foyer Schaerbeekois, une société de logement sociaux, créée à l’initiative de Louis Bertrand, une des premières sociétés de ce genre en région bruxelloise. A partir de cette date, l’administration communale de Schaerbeek lui confiera la réalisation de sept ensembles de logements sociaux : notamment rue L’Olivier (1902), chaussée d’Helmet (1910), rue Victor Hugo (1909-1922) et rue du Corbeau. A l’époque, Jacobs est un oiseau rare : « le seul architecte qui se consacre essentiellement à la construction publique, écoles et maisons populaires » (Franco Borsi, 1974). De 1902 à 1930 – en un peu moins de trente ans – le Foyer Schaerbeekois réalise 1360 logements. 

 

Schaerbeek_H_Jacobs

 

Henri Jacobs, le bâtisseur d’écoles

En 1901, il dessine les plans d’un vaste complexe scolaire sur un terrain situé entre la rue Josaphat et la rue de la Ruche : il y dessine une école primaire, une école d’éducation physique, une piscine, une école professionnelle, une école industrielle et de dessin et, enfin, une bibliothèque publique avec salle de lecture. Le tout forme un ensemble de 91 salles reliées les unes aux autres par un vaste réseau de couloirs, de cours et de passerelles baignés de lumière grâce à d’imposantes surfaces vitrées. A l’intérieur de l’établissement, les murs sont ornés de peintures réalisées par Privat Livemont. En octobre 1907, l’école est enfin terminée. Jacobs gardera une seule et même volonté tout au long de sa carrière d’architecte scolaire : créer des lieux qui permettent de placer le Beau à portée de tous.

DSC_7629

 

«L’école, c’est par excellence le lieu familier de l’enfant, et plus cet endroit sera clair et beau et plus l’enfant y développera son cerveau dans des conditions harmonieuses. Homme plus tard, il voudra retrouver dans son foyer et dans les monuments de son pays la même beauté, la même clarté et la même harmonie » – Citation attribuée à Henri Jacobs, 1924

A la différence de Victor Horta qui réalise beaucoup de maisons bourgeoises et ne regarde pas à la dépense lorsqu’il s’agit de satisfaire les goûts de ses clients, Jacobs parvient à travailler avec des budgets limités, et privilégie des matériaux industriels bon marché. Dans le monde de l’architecture scolaire, sa réputation le précède : on lui confie la réalisation d’écoles à Forest, Uccle, Etterbeek, Woluwe et Bruxelles-ville. En 1910, il achève la réalisation de la magnifique l’école Emile André, située au 58 de la rue des Capucins à Bruxelles. En 1912, Frans Fischer – l’échevin schaerbeekois des Travaux Publics  lui confie la construction des écoles communales n°11 et 13, rue de Roodebeek. L’école n°13 sera achevée en 1913. L’école n°11, en 1922. C’est la dernière oeuvre que Jacobs réalise seul. Il construira une dernière école à Koekelberg, en 1933, en collaboration avec son fils Jacob Aimé (1896-1964)… cette fois-ci dans le style Art déco.

DSC_7625

 

Si la vie et la personnalité de Jacobs nous sont restées assez méconnues, son univers nous est profondément familier à nous Bruxellois. Et la raison de cette familiarité est toute simple : sur ses quarante ans de carrière, Jacobs a réalisé pas moins de 15 bâtiments scolaires en région bruxelloise. Sans que vous la sachiez, il se peut donc que vous, vos parents, grands-parents, voisins immédiats ou amis proches ayez fréquenté une des écoles qu’il a construites. Si le rêve de Jacobs d’édifier une école belle, juste, harmonieuse et propice à l’essor de la créativité de chacun(e) est encore loin – très loin – d’être atteint, l’univers architectural qu’il a créé il y a plus d’un siècle continue aujourd’hui de nous habiter, de nous hanter, à notre insu.

 

[timeline-express]

 

Sources

  • Françoise Aubry et al. (2006), Art nouveau, Art déco & modernisme, éditions Racine, p. 81
  • Sylvie Mazaraky, L’Art nouveau (2006), passerelle entre les siècles et les arts, éditions Racine
  • Christian Mesnil (2009), Chefs-d’oeuvre de l’Art nouveau à Bruxelles, 
  • Franco Borsi (1974), Bruxelles 1900, éditions Aparté

Pour en savoir plus au sujet d’Henri Jacobs

  • Françoise Jurion-de Waha et Aline Wachtelaer (2010), Le petit monde de l’architecte Henri Jacobs, 1864-1935, Société royale d’archéologie

Comments

Leave a Reply