Jusqu’au 31 janvier 2018, Deliveroo permettait à ses coursiers de travailler en tant que salariés (via la coopérative SMart). Aujourd’hui, c’est fini. Adieu les contrats rigides et les obligations qui vont avec. Bonjour le « travail libre », « hyper-flexible », « payé à la tâche », « sans horaires, ni créneaux imposés ». Les amis de l’économie collaborative sont donc prêts à nous faire franchir un grand pas de 150 ans en arrière.
Jusqu’à aujourd’hui, un choix était laissé aux coursiers Deliveroo : soit ils prenaient le statut d’indépendants, soit ils demandaient à la coopérative SMart de convertir leurs prestations en « salaire ». Pour la grande majorité des coursiers, la statut de « salarié SMart » était très clairement la meilleure des deux solutions : 90% des coursiers Deliveroo étaient « salariés SMart » (souvent sous contrat de travail « étudiant »). Et cela leur permettait de bénéficier assez simplement de la protection sociale à laquelle ont droit tous les salariés de ce pays. Mais, le 1er février 2018, Deliveroo a abandonné sa collaboration avec « SMart » …
Pour travailler via la plateforme, les coursiers sont donc aujourd’hui forcés de prendre le statut d’indépendant, accompagné (par charité) d’une assurance « gratuite » (Qover). Ils sont donc aujourd’hui auto-entrepreneurs,
Bref, aujourd’hui – en 2018 – dans le monde rêvé des partisans du « capitalisme de plateforme« , une entreprise peut acheter la force de travail d’un coursier sans lui offrir la garantie d’un salaire minimum et en gardant la liberté de s’en défaire à tout moment. Une avancée pour les amis de la « disruptive economy » … mais qui ressemble tout de même étrangement à un retour à la Belgique d’arrière-grand-papa : celle d’avant 1886, à l’époque où le « travail » était une affaire strictement privée, qui ne concernait que le capitaliste en quête de main-d’œuvre et l’ouvrier qui lui louait « librement » sa force de travail.
« L’ouvrier libre se vend lui-même, et cela morceau par morceau. Il vend aux enchères 8, 10, 12, 15 heures de sa vie, jour après jour, aux plus offrants (…) 8, 10, 12, 15 heures de sa vie quotidienne appartiennent à celui qui les achète. L’ouvrier quitte le capitaliste auquel il se loue aussi souvent qu’il veut, et le capitaliste le congédie aussi souvent qu’il le croit bon, dès qu’il n’en tire aucun profit ou qu’il n’y trouve plus le profit escompté. Mais l’ouvrier dont la seule ressource est la vente de sa force de travail ne peut quitter la classe tout entière des acheteurs, c’est-à-dire la classe capitaliste, sans renoncer à l’existence. Il n’appartient pas à tel ou tel employeur, mais à la classe capitaliste, et c’est à lui à y trouver son homme, c’est-à-dire à trouver un acheteur dans cette classe bourgeoise. » – Karl Marx, texte prononcé à Bruxelles en déc. 1847, devant la Deutscher Arbeiterverein, et publié dans « Travail salarié et capital » (1849)
A Bruxelles (c’est aussi le cas dans de nombreuses autres villes européennes) un collectif de coursiers s’est constitué. Il bénéficie notamment de l’appui de la CSC, et regroupe aujourd’hui plus de 200 membres actifs. Les journalistes de ZinTV ont rencontré le collectif en novembre dernier, à l’époque où ils tentaient de convaincre Deliveroo de leur laisser l’option « SMart ». Le combat a échoué ; mais le groupe n’est pas à court d’idées. Début février, il annonce son intention de lancer une coopérative de livraison …
Pour aller plus loin
- Dossier IEB, « Dawn of the Uber Dead » (BEM n°292, janvier-février 2018)
- Documentaire « The Teens Taking On Deliveroo » (BBC, 2017)