Le mois dernier, Démocratie Schaerbeekoise et IEB faisaient le bilan des politiques de revitalisation de quartiers à Schaerbeek. Nous étions présents lors de leur AG thématique intitulée « A qui profitent les contrats de quartiers durables ? Pour un audit citoyen des réalisations à Bruxelles ». Voici ce qui en est ressorti …
1. Qu’est-ce qu’un contrat de quartier durable ?
Les contrats de quartiers durables (CQD) sont des programmes de “revitalisation” de quartiers en difficultés, entrepris par la Région en lien avec les communes. Chaque nouveau CQD correspond aujourd’hui à un budget de 15 millions d’euros investi dans un quartier spécifique, sur une période de quatre ans. Ces programmes ont pour objectifs de créer des logements, des équipements, des espaces verts, d’améliorer les espaces publics, de créer du lien entre les habitants, d’aider les jeunes à se former, ou encore de développer des lieux pour les entreprises et les commerces de proximité. Entre 1994 et 2015, 78 contrats de quartiers ont été lancés en Région de Bruxelles-Capitale, dont 22 contrats de quartiers durables.
La commune de Schaerbeek a accueilli jusqu’à aujourd’hui 10 contrats de quartier, dont 3 “durables”. A Schaerbeek, le premier de ces contrats de quartiers a été lancé en 1997, à Pavillon. Ensuite, une série d’autres quartiers du nord de la commune ont été visés : Brabant-Verte (2000-2004), Aerschot-Progrès (2001-2005), Jérusalem (2002-2006), Princesse Elisabeth (2004-2008), Lehon-Kessels (2005-2009), Navez-Portaels (2008-2012), Helmet (2010-2014), Coteaux-Josaphat (2011-2015) et Reine-Progrès (2012-2016).
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De 1997 et aujourd’hui, 92.747.113 EUR ont été injectés dans ces programmes de “revitalisation de quartiers » à Schaerbeek. Le tiers de ce budget a été consacré à des programmes de “logement” (31.398.624 EUR) ; 24,7 millons ont servi à la mise en place de nouvelles infrastructures ; 16,5 millions ont été utilisés dans des programmes de ré-aménagement de voiries et de l’espace public. Enfin, 15,9 millions ont été alloués à des projets sociaux.
2. Comment les CQD sont-ils élaborés et mis en oeuvre ?
A Schaerbeek – comme dans les autres communes – l’élaboration du contrat de quartier est largement décidée par l’échevin de l’urbanisme. Le travail de mise en oeuvre et de suivi est quant à lui confié (c’est une particularité schaerbeekoise) à une ASBL communale, créée en 1995 par Bernard Clerfayt à l’époque où il était échevin, et dirigée depuis 1998 par Jean-François Kleykens. Cette association engage une vingtaine de personnes chargées de projets de rénovation, et elle est dépend d’un Conseil d’Administration dont la présidence revient traditionnellement à l’Echevin de l’Urbanisme.
Parmi les participants au débat du 19 mai dernier – “A qui profitent les contrats de quartier durables ? Pour un audit citoyen des réalisations à Bruxelles” – certains s’interrogent sur ce lien de collaboration inconditionnel qui existe entre RenovaS et la service de l’urbanisme : “Comment se fait-il que les pouvoirs publics ne passent pas par un marché public pour choisir RenovaS ?” s’interroge Dominique Nalpas, un des principaux intervenants.
3. Que sait-on du déroulement des CQD ?
Lors du débat, il a largement été question de problèmes de transparence et de retours d’expériences. Albert Martens, spécialiste du Quartier Nord et ancien professeur de sociologie urbaine (KUL), se demande par exemple si les derniers contrats de quartiers durables en région bruxelloise ont suffisamment bénéficié des expériences acquises lors des contrats de quartiers antérieurs.
“Depuis 1997 (…) Depuis vingt ans, est-ce qu’on a l’impression de la démocratie citoyenne locale a fortement augmentée [à Schaerbeek]? Ce que l’on constate c’est qu’au moment où on lance un contrat de quartier, il y a une certaine mobilisation des habitants – on essaie de savoir ce qu’ils pensent etc. – et puis, pendant quatre ans, on ne sait pas très bien ce qu’il se passe. Enfin, oui – il y a des tas de choses qui se passent, plus ou moins articulées autour de ce qu’on avait désiré à l’époque – mais, est-ce que ça dévie, est ce que ça ne dévie pas? On ne sait pas le contrôler (…). On pourrait aujourd’hui réfléchir à la construction d’une co-participation citoyenne à travers les comités de quartiers. Les acquis de 1997-2001 à la place Pavillon ou à la rue de Brabant, arrivent-ils jusqu’ici, vingt ans après ? Je n’en suis pas sûr.” (Albert Martens, le 19 mai 2015)
Une série d’habitants impliqués dans les contrats de quartiers durables de Schaerbeek ont ensuite fait état de difficultés d’accès à l’information. Ahmed Adrioueche – ancien membre de la commission de Quartier du CQD Helmet – se plaint de l’opacité de la mise en oeuvre et du suivi des contrats de quartiers durables à Schaerbeek où l’ASBL communale RenovaS a longtemps refusé de rendre public le détail des dépenses engagées, c’est-à-dire la ventilation exacte du budget à l’intérieur des “cinq volets”.
“A trois reprises, j’ai essuyé des refus. Alors que tout ce que je demandais c’était le programme de base, pour avoir une idée si vous voulez de la pérennisation des différents volets. Dans tel quartier, par exemple à Lehon-Kessels, les opérations immobilières, c’est quoi? Est-ce qu’on peut les voir? Au niveau du socio-économique, on est intervenu à quel niveau ?” (Intervention d’Ahmed Adrioueche, membre de la commision de Quartier du CQD Helmet, 19 mai 2015)
4. Qui participe aux CQD ?
La question de la participation a enfin été abordée par des intervenants qui constatent, de manière générale, un essoufflement du processus qui vise à sonder les besoins des quartiers. Dans les contrats de quartiers Helmet, Navez-Portaels et Coteaux-Josaphat, certains projets semblent avoir été validés à l’avance, indépendamment du processus de participation. Faouzia Chiadeck – présidente du conseil consultatif des locataires du FS – s’interroge, par exemple, sur un projet de suppression de 8 unités de logements (qui avait été soutenu par C. Jodogne) et de réaménagement de la place du jeu de balle, au square Apollo, pour un budget de 1,37 ou 1,5 millions. Un collectif de riverains a introduit un recours auprès conseil d’Etat, afin de s’y opposer. Autre exemple : à Navez-Portaels, le projet de passerelle et d’espace de rencontre sur la Cage-aux-Ours (pour un budget de 600.000 EUR) répondait-il à une demande des habitants du quartier ?
“Je ne veux pas tirer à boulets rouges sur les contrats de quartiers, mais c’est un sentiment qui s’installe : il y a les néophytes, il y a les habitants, il y a ceux qui s’accordent, et puis il y a ceux qui décrochent très rapidement. Donc, à un moment donné s’installe une certaine complaisance entre gens du même [milieu]. A un moment donné, ça devient une certaine routine (…). Dans ces contrats de quartiers, il faut aussi comprendre une chose, c’est qu’il y a des logiques de personnalités. Il y a des personnes qui ont un égo très fort et donc qui ont des projets assez importants, parce qu’il faut marquer de son empreinte le contrat de quartier. Et, bien souvent, cela se fait au détriment d’autres projets plus sociaux, qui sont peut-être en cours de route sacrifiés.” (Habitant du quartier Helmet, 19 mai 2015)
Bilan en mi-teinte également, du côté du contrat de quartier Coteaux-Josaphat. « Il y a eu des paillassons de mosaïques qui ont été réalisés – souligne une employée de l’ASBL Bouillon de CultureS – des numéros et de l’embellissement de façades. Les habitants ont pris des photos pour nourrir la création des motifs et ce genre de choses. Ils ont pu voter pour les fresques. Dans l’ensemble, ils étaient satisfaits. Mais, on a entendu des réflexions du genre ‘c’est très beau mais ça ne répond pas à nos besoins' ». Sur certains projets du contrat de quartier Coteaux-Josaphat – comme les Hespériens ou la rénovation du parc Rasquinet – les habitants se sont montrés plus critiques : « au parc Rasquinet, le projet présenté par les architectes ne répond pas aux attentes des habitants ».
5. A qui profitent les CQD ?
Sur papier, les contrats de quartiers durables profitent à tou-t-e-s. Ils visent à créer des logements assimilés au “logement social”, à embellir des espaces publics et à créer des infrastructures utiles à tous habitants des quartiers. Mais, il existe clairement un écart entre ces objectifs affichés lors de l’élaboration de ces contrats de quartiers durables (créer du “vivre ensemble”, de la “mixité sociale”, du “lien social” etc.) et les réalisations obtenues.
En matière de logement par exemple, les réalisations effectuées au termes de quatre (ou six ans) que durent les programmes, sont en-deçà des objectifs de départ : 24 logements pour Navez-Portaels, 7 pour Helmet, 12 pour Coteaux-Josaphat et 17 pour Reine-Progrès. Lors du débat, d’aucuns en ont imputé la responsabilité à RenovaS. Mais, en réalité, la faiblesse des volets « logement » s’observe également dans d’autres communes bruxelloises où “les programmations établies (…) prévoient souvent un nombre de logements nettement supérieur à celui qui sera produit réellement” (F. Noël, 2010)
Tout cela nous amène au constat que – si les contrats de quartiers permettent d’améliorer la qualité de vie dans les quartiers – ils échouent parfois à rencontrer les attentes des habitants actuels. Selon M. Van Criekingen : en région bruxelloise, les contrats de quartier profitent à une classe moyenne que l’administration communale cherche à attirer sur son territoire, dans l’espoir de voir ses recettes fiscales augmenter. Ce qui entraîne – selon lui – « l’éviction ou l’appauvrissement sur place de manages à faibles revenus” (Van Criekingen, 2009).
[Commentaire du 16 juin] Certains commentateurs nous ont fait le reproche de ne pas avoir suffisamment rendu justice aux qualités des contrats de quartiers dans cet article (idem pour le débat). Pour ré-équilibrer la discussion, nous publierons un second article sur ce sujet.
Pour aller plus loin …
- PV de Démocratie Schaerbeekoise, au sujet de l’AG Contrats de quartiers du 19 mai 2014
- Mathieu Van Criekingen (2006), « Que deviennent les quartiers centraux à Bruxelles » in Brussels Studies.
- Mathieu Van Criekingen (2013), « La gentrification mise en politiques » in Métropoles.
- Françoise Noël (2013), « La politique de revitalisation des quartiers : à la croisée de l’action urbanistique et sociale«
- Emmanuel Lenel (2012), « La mixité sociale dans l’action publique urbaine à Bruxelles. Projet ou langage politique ? » in Brussels Studies
- « Le spectre de la gentrifictation » (2010), Bruxelles en Mouvements n°241
- Mathieu Berger (2009), “Bruxelles à l’épreuve de la participation”
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par Mathieu
Bonjour,
Cette soirée était organisée conjointement par Inter-Environnement Bruxelles et Démocratie Schaerbeekoise.
Un de nos administrateurs, Dominique Nalpas, avait notamment faire l’introdution…
Merci de corriger. Bien à vous,
Helene Quoidbach
C’est fait. Merci pour la correction
L’article relate en grande partie du blabla populiste. Le problème central de toute participation populaire est que « les habitants » n’existent pas, ils n’ont pas, en tout cas une opinion commune. Chaqun arrive avec des idées, des besoins et des projets differents, voire contradictoires. Lors des réunions du quartier, parfois les idées se confrontent, parfois pas.
On a souvent observé que « les habitants » qui participent au début du processus ne sont pas les mêmes qu’à la fin: Ceux qui veulent que ca change viennent au début. Ceux qui sont choqués par les changements prévus viennent à la fin et se pleignent que personne aurait entendu « les habitants ».
Ceci dit, il se peut toujours que les pouvoirs locaux qui doivent modérer des tels discussions le font avec plus ou moins de neutralité, mais il en reste que « les habitants » n’existent pas, ni les « vrais » et « faux » habitants.
Il me semble que le comité de quartier Helmet n’était pas invité à la réunion ou pas présent en tout cas. Il faudrait s’informer de tout les cotés avant de criér scandale.
J’étais présent à la réunion et j’ai témoigné à plusieurs reprises, que lors du contrat de quartier que j’ai vécu, Josaphat 2000-2006, il y avait des grands conflits, entre différents opinions exprimés par les habitants autant qu’entre différents échevins et qu’on a tous souffert de la lenteur administrative, vu qu’un nombre incroyable d’administrations différents devraient s’entendre… Mais le résultat n’était pas joué d’avance. Bien que plusieurs de mes idées à moi, étaient réfuté à l’époque – ma demande d’une plaine de jeux sur la Place d’Houffalize, par exemple, était réfusé par les autres habitants…
En ce qui concerne Renovas, il faudrait quand même mettre un peu plus de volonté de vouloir comprendre des choses. Renovas est un genre de service communal externalisé. Il y a des communes bruxelloises qui administrent les contrats de quartier par leur administration, d’autres par des bureaux d’études changéants, d’autres par des constructions comme Renovas (la ville de Bruxelles par exemple). Les bureaux d’études exterieurs sont catastrophiques, les administrations coûtent nos impôts locales. On peut discuter si c’est mieux avec Renovas ou avec un service intégré de l’administration, mais avant de « dénoncer » un pseudo-scandale ou l’autre il faudrait quand même se rendre compte que le but de la construction était au départ d’économiser de l’argent du contribuable Schaerbeekois.
Merci Malte, pour ce commentaire. Je te donne raison sur un point : l’article fait écho aux critiques faciles sur les mécanismes de consultation publique. Ok, on consacrera un second article moins généraliste au travail de participation dans les CQD de Schaerbeek. En revanche, je ne suis pas convaincu par la petite phrase : « les habitants ça n’existe pas ». Il faudrait plutôt dire : « une consultation publique est une chose rare et difficile à mettre en place ». Pour le reste, je suis assez surpris que l’on puisse trouver l’article plus « populiste » que le débat lui-même. Je n’ai pas l’impression d’avoir donné plus de poids à la voix des détracteurs… Tu as eu ce sentiment ?
Merci pour ta reponse.
Hmm. Peut-être un problème de français comme langue étrangère?
Avec « relater » je voulais dire, que l’article rapporte les discours populistes, pas que l’article soit populiste et encore moins que l’article soit plus populiste que la réunion. C’est le tenor de la réunion même qui me dérangéait.
Avec « ‘les habitants’ n’existent pas… » je voulais dire que les habitants ne sont pas une masse homogène et qu’ils n’ont jamais tous la même opinion sur quelquechose. C’est un discours populiste de pretendre que « les habitants » auraient un avis commun et seraient lesés par la commune, les autorités ou je ne sais pas qui. Ceci dit que ca peut naturellement arriver qu’une majorité des habitants d’un quartier se prononce pour quelquechose et que la commune fait le contraire. Mais il n’est pas facile du tout de detecter cette majorité avec certitude.
Bonjour Malte, ok, on évitera à l’avenir de faire écho à ce genre de phrases. Le prochain article sera meilleur. Bien à toi. Mathieu
Après lecture de cet article je suis assez bien d’accord avec Maité et je trouve que pour porter un jugement, plutôt négatif ici, sur les contrats de quartier et leur gestion, il faut au moins avoir mené une enquête de fond – ce qui ne me semble pas être le cas ici – et interviewé plus d’ acteurs . Il y a certainement des interrogations ou suspicions fondées qui sont soulevées, comme par exemple le coût de la passerelle, mais quant à la participation des habitants et l’impact de cette participation, je peux te le dire pour avoir participé à trois contrats de quartier, que bien souvent au fil des quatre ans peu d’habitants s’impliquent dans le processus . Et comme dit Maité les habitants ne sont pas une masse uniforme. Si ça t’intéresse vraiment, je pourrais t’en dire beaucoup sur les retombées positives des contrats de quartier et aussi de l’évolution de ceux-ci au fil du temps. Et le directeur de RenovaS ne s’appelle pas Kleysens mais Kleykens. Bien à toi, Paula.
Bonjour Paula, merci pour ton commentaire. Oui, le point 4 laisse à désirer : un deuxième article sera bientôt publié sur ce point « participation ». Puis, pour ceux et celles qui le souhaitent : droit de réponse (info@dewey.be). Bien à toi. Mathieu
Participez à l’audit citoyen sur : audit.citoyen.quartier@gmail.com
Envoyez vos documents, commentaires, témoignages que nous ajouterons à ce qui a déja été récolté ces derniers mois
Chère Paula Bouffioux (zumba asbl), commentaire précédent
Comme vous n’étiez pas présente à l’audit citoyen, précisons que personne n’a critiqué les 3 subsides de votre asbl via les CQ. Le but est ici de construire une évaluation indépendante des personnes subsidiées, de renovas ou de la commune. Pourriez-vous nous envoyer le contenu détaillé de vos 3 projets CQ à audit.citoyen.quartier@gmail.com ?
merci d’avance
PS : ce qui a par contre été fortement critiqué, c’est la présence systématique d’asbl sans aucun lien avec schaerbeek, imposée par renovas/commune , dont la qualité principale est ce piston et dont les activités dans le quartier cessent immédiatement après la fin du contrat de quartier…une mentalité de chasseurs de primes proches du pouvoir politique en place
Argumentation: les habitants se sont montrés plus critiques : « au parc Rasquinet, le projet présenté par les architectes ne répond pas aux attentes des habitants ».
Invalid argument
Why: Informal Fallacy
Type: Appeal to Common Belief (ad populum)
« Les habitants », lesquels ? Il y a en effet un petit côté populiste dans cette phrase