Bruxelles. Les loyers augmentent. Des dizaines de milliers de personnes cherchent sans succès à obtenir un logement à bas prix. Pendant ce temps, entre 15.000 et 30.000 unités de logement restent inoccupées …
La semaine dernière, je suis tombé par hasard sur une carte qui dresse un inventaire non-exaustif des unités de logements vides en région bruxelloise. Elle n’en mentionne que quelques centaines, mais il en existerait en réalité entre quinze et trente mille dans la capitale. Sans parler des immenses surfaces de bureaux, aujourd’hui désertes, qui – à l’instar de la Tour Léopold – pourraient un jour être reconverties en logements : un million de mètres carrés de bureaux inutilisés.
1. Les logements vides à Schaerbeek
Samedi dernier, je me suis décidé à prendre mon vélo et mon appareil photo, pour faire le tour des adresses schaerbeekoises identifiées comme « vides », « inoccupées ». Certaines – telles que le 121 de la rue Vondel, le 20 de la rue Teniers, et le 4 de rue des Chardons – sont aujourd’hui en travaux. D’autres sont squattées. La plupart semblent toujours être laissées à l’abandon.
Rue Vanderlinden, en face de la galerie d’art, se trouve une maison blanche apparemment inhabitée : « pas de noms sur les sonnettes et sur les boîtes aux lettres, carreaux cassés et traces d’humidité et végétation ». Pourquoi ? Je ne sais pas. Peut-être que les propriétaires peinent à gérer leur bien, ou sont empêtrés dans des problèmes de succession, ou … attendent, tout simplement. A Bruxelles – où six maisons sur dix ne sont pas occupées par leurs propriétaires – d’aucuns voient parfois un intérêt à laisser un bien à l’abandon en attendant qu’il prenne de la valeur.
A hauteur des numéros 48, 50, 52, 54, 56 et 58, se trouve à nouveau une série de maisons inoccupées et fortement délabrées. Les fenêtres de la façade arrière ont été murées. Sur la façade avant, un grand panneau blanc annonce un projet de rénovation de l’intérieur d’îlot (la grande salle du Kriekelaar). Quant aux bâtiments qui donnent sur l’avenue Vanderlinden – laissés à l’abandon depuis le début des années 2000 – ils continuent à se dégrader. Le RBDH estime qu’ils pourraient potentiellement accueillir vingt unités de logement.
2. Les squats de la rue Nestor de Tière
Rue Nestor de Tière – aux numéros 9, 11, 13 et 15 – se trouve une série de maisons laissées à l’abandon depuis plus de cinq ans, aujourd’hui occupées par des squatteurs. Certains d’entre eux cherchent en ce moment à se constituer en ASBL : le squat devait initialement s’appeler les « 4 tières » mais, vu l’absence de communication et la mauvaise entente qui règne entre les occupants des maisons de droite (13-15) et ceux des maisons de gauche (9-11), ce sera « 2 Tières » au lieu de « 4 ». Les deux groupes sont totalement séparés. Devant le numéro 13, je fais la connaissance de Greg, qui me propose de me faire visiter les lieux.
« Il y a eu une fête hier soir. J’espère que tu es ouvert d’esprit ». Simulant mal la confiance, je hoche la tête, et – ne sachant pas trop à quoi m’attendre – le suis jusqu’à la porte d’entrée. Dans le hall, je croise un jeune homme fébrile et zigzagant aux allures de Jack Sparrow. J’avance ensuite, un peu hésitant, jusqu’à la cuisine, au bout du couloir. Là, je tombe – contre toute attente – sur des gens plutôt charmants et intéressants. Curieux mélange de genres et de générations. Céline, une des occupantes, me parle du plaisir de la vie au squat, des efforts qui sont faits pour maintenir le bien en état, mais aussi des problèmes de « repli » et des déceptions de la vie en communauté.
3. Droit de propriété vs. Droit à l’habitat
Ce n’est pas seulement à coups de pied de biche que la défense du droit à l’habitat se confronte aux problèmes du droit de propriété. C’est aussi par le dialogue, la concertation, l’adoption de nouvelles règlementations. Depuis 2009, une nouvelle ordonnance érige en infraction au Code du Logement le fait de laisser un logement vide. Et depuis la réforme du code du logement de 2013, les fournisseurs de fluides communiquent aux pouvoirs publics les adresses dont la consommation est pratiquement nulle, ce qui permet d’identifier et de recenser les logements vides.
Pour en savoir plus, j’ai contacté – dans le cadre de l’émission de Radio Alma (101.9 FM) du mardi matin – une des responsables de l’association bruxelloise RBDH (Rassemblement Bruxellois pour le Droit à l’Habitat). Mercredi dernier, j’ai ainsi fait la rencontre d’Ilham Bensaïd, chargée de communication pour le RBDH. Elle m’explique que, pour combattre le problème de l’inoccupation, on cherche aujourd’hui à identifier les logements inoccupés (grâce aux nouvelles dispositions dont s’est doté le code du logement), à imposer des sanctions aux propriétaires de biens laissés à l’abandon, ou encore à favoriser l’aménagement des étages vides au dessus des commerces. Il existe par ailleurs – dans le code du logement – des outils législatifs intéressants comme le « droit de gestion publique », qui autorise les opérateurs publics à prendre en gestion un bien privé vacant.
« Le droit de gestion publique est un outil qui existe déjà depuis plusieurs années et qui permet à un opérateur public, donc par exemple une commune, de prendre en gestion un bien inoccupé, de le rénover si nécessaire et de le remettre en location à des conditions sociales, pendant une durée limitée (…). Pourtant jamais aucune commune ne s’en est saisi »
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4. Les occupations temporaires
Solution insuffisante, mais intéressante : celle de l’occupation temporaire. En 2003, un groupe s’installe dans un Grand Hôtel laissé à l’abandon depuis douze ans, au 321 avenue Louise. Ils parviennent a y développer (légalement) une occupation communautaire qui durera quatre ans, jusqu’à ce que le propriétaire obtienne, en avril 2007, la droit de reprendre l’usage de son bien. Le mois suivant, les anciens occupants s’installent – en compagnie d’un groupe de sans-abris – dans un immeuble abandonné du 123 de la rue Royale, obtenant la signature d’une convention d’occupation précaire avec la Région Wallonne, propriétaire des lieux. Les occupations de ce type se sont ensuite multipliées. Il en existe aujourd’hui une dizaine dans la région : le 123, la Poissonnerie, Asam/Sorelo, ou encore Ieder zijn huis.
« Malheureusement, nous constatons que la société n’est plus en mesure de répondre aux besoins en logements abordables, et ce depuis des années. Cette réalité a conduit à l’émergence de nouvelles expériences d’occupations temporaires de plus ou moins grande ampleur. Nous ne pouvons que conclure que ces projets constituent de belles alternatives, dans lesquelles la solidarité et la diversité sont très concrètes (…). Un projet d’occupation bien préparé et encadré présente un double avantage : la création de logements bon marché, permettant aux occupants de régler des problèmes financiers et la transformation du vide en lieux de vie. » (art. 23 #51).
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Les communes bruxelloises parviennent aujourd’hui à diminuer un peu le taux de vacance de leurs propres logements publics (2300 unités de logements sociaux restent inoccupées), mais il semble difficile pour elles d’ajouter à cette tâche la gestion publique de biens privés. Une solution légère pour les sociétés de logements sociaux consisterait donc à confier à des collectifs ou associations de défense du droit à l’habitat le développement d’occupations temporaires dans leurs propres logements vides. En dépit du succès que ces expériences ont pu rencontrer à Etterbeek, Ixelles, Forest et Evere, les sociétés de logements sociaux restent assez réticentes face à ce type de projets, explique Ilham Bensaïd.
Pour aller plus loin …
- la carte des logements vides (équipes populaires)
- le site du rassemblement bruxellois pour le droit à l’habitat (RBHD)
- l’excellent dossier de la revue art. 23 sur les occupations temporaires (2013)
Hello,
Je suis très sensible à la question dont il est question dans cet article… par contre j’émets des réserves quant à la diffusion de la carte des logements vides… Mon immeuble s’y retrouve répertorié alors qu’il n’est ni vide, ni délabré (à part la façade qui restait encore à refaire au moment où leur constat a été fait).
Rien sur la Rue Neuve : qui est pourtant la rue la plus scandaleuse de la ville niveau unités vides (rien d’ailleurs au centre).
Très peu sur la chaussée d’Ixelles… qui est très similaire à la rue Neuve
Je sais que la carte n’est pas exhaustive, mais quand il manque le plus élémentaire et que s’y retrouvent des immeubles qui n’ont rien à y faire, c’est à se poser des questions sur le sérieux de l’initiative au niveau définition d’un logement vide, recherches et vérifications….
C’est vraiment dommage car ce genre de sources peut avoir pour effet déplorable de discréditer l’importance du phénomène…. alors qu’il est urgent de trouver une solutio car il y a en effet un vrai problème à Bruxelles…
Bonjour Yelyam, merci pour votre commentaire. Oui, c’est grave que les auteurs de cette carte se soient trompés. Vous avez porté plainte? Les fournisseurs d’eau-gaz-élec. doivent aujourd’hui signaler aux autorités régionales les logements à consommation nulle ou quasi-nulle… ça devrait donner une meilleure idée de l’ampleur du problème, et éviter les problèmes, comme celui dont vous avez été victime.
Bonjour,
Je salue l’intérêt porté pour la problématique mais je suis asez déçu de voir qu’il est assez peu question de l’action régionale dans la lutte contre les logements inoccupés alors que le service chargé de la matière s’efforce d’une part de remplir correctement sa mission avec le concours des communes (avec des résultats assez encourageants) et d’autre part de faire connaître celle-ci au plus grand monde afin que notamment les propriétaires soient informés des risques qu’ils encourent en ne remédiant pas l’inoccupation de leur bien.
Bonjour Cassio, merci pour votre commentaire. Je vous l’accorde : l’article est incomplet.
Je vous écris, tt à l’heure
Bonjour,
Article très interessant avec de bonnes recherches (surtout au niveau audio).
En ce qui concerne la carte des logements vides, l’encodage date de 2013 pour beaucoup (tandis qu’aucune date ne figure sur le reste). Je suppose que pour certains logements, il n’y a pas eu de mis à jour car je les vois en travaux maintenant. (Il était temps!)
En espérant que ça fasse un peu avancer les choses…
Merci pour cet article dont le sujet n’est pas assez pris au sérieux par de nombreux médias, malheureusement…
Il y a du boulot sur ce sujet des bâtiments vides à Bruxelles…
Bravo Mathieu pour cet article.